J'ai retrouvé l'analyse dont je vous parlais...
Attention si vous n'avez pas vu le film,
les SPOILERS SONT NOMBREUX !Analyser Blade Runner est une gageure. Il est impossible d'en donner une analyse complète ici, tant le film est riche, fort et intelligent. Mais de fait, il est aussi impensable de ne pas faire cette analyse, quitte à n'aborder qu'un partie et à rester à la surface de l'oeuvre.
Sortie en 1982, ce film de Ridley Scott était alors attendu ; Scott étant auréolé du succès de son fabuleux "Alien". La distribution avait aussi de quoi attirer le public avec un Harrison Ford sortant de "L'Empire contre attaque" et de "Les aventuriers de l'arche perdue" ; mais aussi Rutger Hauer (vedette européenne pas encore connu aux USA) ; la belle et débutante Sean Young ; Edward James Olmos ; une autre belle débutante : Daryl Hannah ; Brion James et Joanna Cassidy venant tout droit de la série "Dallas". Enfin, l'oeuvre était adapté de l'auteur de science fiction à succès : Philip K. Dick. Et pourtant le film fut un échec commercial (il rapporta 27 millions de dollars et en avait coûté 28). La raison ? le film fut rapidement retiré des salles. Pourquoi ? Le film ne plaisait pas aux producteurs qui tentèrent de le remanier contre l'avis de Ridley Scott. Resultat, une oeuvre qui ne plaisait pas aux producteurs donc et rejetée par son réalisateur.
Quoiqu'il en soit, aujourd'hui Blade Runner est considéré comme un film culte, un film majeur dans l'histoire du cinéma. Une oeuvre qui fait référence. Sauvée de la liste des oeuvres maudites grâce à la vidéo.
Résumons l'histoire : Los Angeles en 2019. Le monde est saturé d'architecture, de messages publicitaires, de néons, de pluies et de pollutions. Rick Deckard (Harrison Ford) est un "Blade Runner" un flic chargé de traquer et d'éliminer les Répliquant, des êtres artificiels créés pour être les esclaves des hommes sur les autres planètes. Ils sont interdits sur terre et les Blade Runner sont chargé de retrouver ceux qui tenteraient de revenir sur leur monde géniteur. Et justement, plusieurs Répliquants sont entré clandestinement sur Terre. Ils ont à leur tête Roy Batty (Rutger Hauer), leader charismatique qui n'aspire qu'à une chose pour lui et pour les siens, trouver le moyens de vivre comme tout le monde et longtemps. En effet, la durée de vie des Répliquants est limité à quelques années seulement. S'engage alors une course contre la montre, le Blade Runner tentant de retrouver des Répliquant avant qu'ils ne parviennent à disparaître dans la nature.
Si le film de Scott est inspiré d'un livre de P.K Dick, il va beaucoup plus loin que l'oeuvre littéraire. Le film est avant tout une oeuvre sur la vision du monde, la perception des choses et de soit même. La présence constante des yeux (images d'ouverture ; regard du hibou) n'est pas un hasard. Comme ce n'est pas un hasard que les Répliquants soient entre autre détecté par une machine qui observe la rétine... D'où le fait aussi que Roy Batty (Rutger Hauer) accorde tant d'importance aux yeux. Il rencontre le savant qui a fait ses yeux et lui dit d'ailleurs combien ses yeux lui ont été utiles ; de même tue-t-il son créateur, Tyrel, en lui écrasant les yeux.
L'importance des photos, vision du passé, est également primordiale. C'est en étudiant une photo que Deckard (Harrison Ford) retrouve Zora une Répliquante (Joanna Cassidy). C'est une image du passé qui lui donne la clé du présent. D'où aussi l'importance des souvenirs chez les Répliquants. Souvenirs implantés, en partie faux souvenirs, et pourtant comme le dit Roy avant de mourir : "J'ai vu tant de choses" !
Roy a vu des mondes incroyables, étranges, et cette Terre qu'il découvre ne l'est pas moins. Tout y est familier et hostile comme peut l'être une terre natale que l'on n'a pas revu depuis sa naissance. Quoi de plus humain ? Dès lors, Scott brouille les cartes? Qui est le plus humain ? L'homme "artificiel", le Répliquant avec ses vrais et faux souvenirs ; ou le Blade Runner, froid, solitaire et qui tue sans humanité ?
Tout n'est pas si simple. Les Répliquants certes sont artificiels, mais ont des attitudes très humaines, trop humaine... Importance des souvenirs, importance de l'amour (voyez la douleur de Roy après la mort de Pris (Darryl Hannah), ou les sentiments de Rachel (Sean Young)). De plus, Scott s'acharne à attacher un animal à un Répliquant, comme le ferait un humain avec son animal de compagnie. Cet attachement est parfois simplement montré au travers d'une attitude, ou d'un maquillage, mais parfois aussi plus concrètement en montrant l'animal : Ainsi Roy est-il lié au loup (d'où son attitude lors du combat final); Léon (Brion James) à la tortue (évoqué lors de son test) ; Zora au serpent (qu'elle porte sur elle) : Pris au raton-laveur (d'où son maquillage) ; Rachel au hibou...
Mais cet attachement marque aussi la différence avec l'humain. Si les Répliquants aspirent à devenir humains, les humains eux aspirent à devenir Dieu. A l'instar de J.F Sebastian, petit ingénieur, fabriquant des petits compagnons artificiels, qui joue aux échec avec Tyrel le grand créateur des Répliquants. Un J.F Sebastian qui va jusqu'à ouvrir les portes du Paradis à Roy et Pris en les faisant entrer chez Tyrel.
Les Répliquants eux, n'aspirent donc qu'à devenir humain. Aspiration impossible, et lorsque Roy le comprend, il ne peut alors que tuer son créateur et descendre en Enfer (symbolisé ici par l'ascenseur qu'il prend pour partir de chez Tyrel ; ascenseur qui le mène vers les bas-fonds glauques et sinistres, vers sa fin).
Mais si les Répliquants ne peuvent devenir humain, le Blade Runner l'est-il pour autant ?
Avant la sortie de la version "Director's cut" Scott affirma en conférence de presse que Deckard était aussi un Répliquant.
Le vrai problème est la. Et si Deckard était lui aussi un Répliquant. Malgré ses affirmations, Scott brouille encore les pistes. Dans son film, tous les humains sont des solitaires : Tyrel, J.F Sebastian, etc. Les Répliquants eux, vivent en groupe. Or Deckard est seul. Et pourtant, comme les Répliquants il attache de l'importance aux souvenirs (voyez sa collection de photos) ; comme les Répliquants il a besoin d'amour et le trouve en la personne de Rachel, une Répliquante. De plus, il éprouve comme un mal-être à la mort de Zora. Enfin, et surtout, élément ultime de la Director's cut, il a des rêves implantés. C'est du moins, ce que laisse supposer l'origami que laisse le supérieur de Deckard (E.J Olmos) : une licorne. Précisément le rêve que fait Deckard. Comment peut-il le savoir ? Et puis, la licorne est un animal. Comme pour les autres Répliquants, un animal est attaché au personnage. Autre détail fondamentale prouvant la nature de Deckard : ses yeux. Encore et toujours les yeux, définitivement coeur du mystère. Les êtres artificiels se distinguent des humains par leur regard qui brille dans le noir. Scott insiste sur ce détail à plusieurs reprises, nous montrant cet étrange regard chez les animaux artificiels, mais aussi chez les Répliquants. Aucun des humains du film n'a ce regard... Or, dans un plan très court possédant volontairement une profondeur de champ réduite (dixit Scott lui même), parmi les scènes ou le personnage de Sean Young se retrouve chez Deckard, on voit le regard lumineux et artificiel de ce même Deckard !
Finalement Blade Runner, est un film sur la quête de l'identité, sur les relations de l'homme avec Dieu. Mais si l'homme est devenu "dieu" en créant la vie artificielle ; c'est bien cette vie artificielle qui aspire à atteindre l'essence divine. Et ce n'est pas un hasard si c'est un être artificiel qui parvient finalement à tuer son créateur et a pouvoir dès lors décider de la vie et de la mort. En tuant Tyrel, Roy devient l'égal de l'homme cet être capable de tuer et de décider de la durée d'une vie. Mais Roy lui va plus loin en acceptant de ne pas tuer... En mourant, libérant une colombe, il devient enfin libre. Il dépasse ainsi l'homme... L'androide est-il l'avenir de l'homme ?
Notons pour finir, qu'il existe deux autres versions du film : un première qui fut projeté et post-prod et dans quelques salles. Et une version director's cut de la "Director's cut". La version de 1997 en effet (dite "Director's cut") laissait encore place aux volontés des producteurs contre l'avis de Scott.
Il existent de nombreuses autres pistes de lectures - les symboles religieux, les Kenji, les pubs, etc.